« Les Misérables » de Ladj Ly





Montfermeil, Les Misérables, ville de misère architecturale que le film de Ladj Ly survole et embrasse en un regard de drone. Comme à travers un oeil de boeuf, nous nous infiltrons dans un quartier a priori impénétrable. Cadrage sur les barres d’immeubles qui verrouillent l’horizon. 

Un adolescent conducteur de drone - personnage incarné par le propre fils du réalisateur et qui représente Ladj Ly - vole des vidéos aux habitants du quartier, observés d’un autre angle, depuis la fenêtre d’en face ou du dessus, regard à la fois intérieur et distancié.

Le temps étiré des vacances d’été - ville inactive peuplée d’enfants en errance sous un soleil de plomb - contraste avec la tension créée par l’unité de temps. C’est l’histoire d’un premier jour, celui d’un policier de la bac muté à Montfermeil. Et c’est le jour où nous avons vu cette réalité bien en face. On y est entré : on sait maintenant! 

Qui sont les Misérables? Ceux qui vivent dans la misère des quartiers abandonnés de la République? Les fonctionnaires qui y sont mutés? Ou, dans un sens plus péjoratif, ces voyous, ces vauriens d’adolescents, de dealeurs, de flics?

Chaque personnage est en effet à sa façon corrompu : l’enfant est abandonné par ses parents ; le policier récemment nommé sur le poste semble entrer dans une maison de fous, où racisme et misogynie règnent en maîtres. Les flics sont aussi voyous que ceux qu’ils traquent. 

Les ex-tôlards sont devenus les nouveaux chefs spirituels, seules figures d’autorité restantes quand l’Etat et la famille ont déserté ce rôle. Leur barbe est-elle le signe d’un changement profond, d’une sagesse enfin atteinte en prison, ou un déguisement de Tartufe qui leur permet de rester dans les affaires? 

Salah, gérant-philosophe d’un fast-food, en prophète de malheur, prédit les conséquences des dysfonctionnements de la Police. Les enfants, formés par le trafic dans lequel ils baignent quotidiennement, s’organisent en une milice vengeresse. Les policiers assassins deviennent bêtes traquées, emmurées mi vives mi mortes entre les murs de la cité. 

L’escalier, lieu d’une véritable lutte à mort, n’est pas sans rappeler les cages occupées des places de deal. La banlieue toujours s’auto-détruit dans ses révoltes contre l’Etat. La destruction se fait de l’intérieur : on sacrifiera les voisins, on finira tous dans les flammes sans s’en rendre compte.

Trois armes différentes se font écho tout au long du film: le flash-ball du mauvais flic qui tire à bout portant sur un adolescent menotté ; les pistolets à eau des enfants qui nous rappellent leur jeunesse et leur désespoir de ne pas partir en vacances ; le revolver du policier qui hésite à enclencher la procédure de légitime défense, qui a peur de mourir mais aussi peur de tirer, qui ne veut pas de mort sur la conscience.

La dégénérescence de la banlieue est telle que l’on peine à y croire. Est-ce un film réaliste ou une série de situations purement cinématographiques? Il semble que les deux soient savamment mêlés. 

Dans la salle de cinéma, un silence assourdissant succède au choc de la dernière image. Puis, une citation hugolienne nous met en garde : Mes amis, retenez ceci. Il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.  Car ces individus, qui sont arrivés à un tel degré de violence, auraient tôt fait d’engendrer de violentes critiques de notre part. Critiques des enfants, de leurs familles, des voyous ou des policiers. Or, ce film nous donne à penser de façon plus fine les causes de cette violence généralisée. Nous faire penser sans passions, voilà l’exploit!

« Les Misérables » de Ladj Ly

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