FICHE DE LECTURE Sigmund Freud, « L’homme Moïse et la religion monothéiste »

AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR :

À travers la formule l’homme Moïse, Freud veut montrer l’humanité de Moïse, ni Dieu fait homme, ni homme divinisé, mais guide adoré par la masse.

Problématique : Comment un homme, Moïse, a-t-il pu fonder un religion?

La destinée de Moïse, fondateur d’une religion, peut être mise en parallèle à celle de Freud, qui a été le fondateur d’une science : la psychanalyse.

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PRÉFACE DE MARIE MOSCOVICI :

Freud reconstitue la biographie de Moïse, les évènements historiques entraînés par des motivations psychiques. Son oeuvre a une visée scientifique et clinique.

Dire l’homme Moïse, annoncer qu’il ne fut pas juif mais égyptien est une mise en pièces du père en tant que sacralisé, un démontage de son image.

La démarche de Freud, qui humanise un personnage divin, est similaire à celle de Michel-Ange, dont le Moïse n’est pas le Moïse de la Bible. L’artiste a pris la liberté de corriger les textes sacrés et de falsifier le caractère de l’homme divin, en le désacralisant par l’ajout de détails triviaux tels que le geste de la main vers la barbe, un geste humain dont l’idée même est sacrilège.

le Moïse de Michel-Ange

À partir de l’humanisation de Moïse, Freud conclut que le Dieu lui-même a une origine purement humaine, transformée en nature divine par les mécanismes psychiques des hommes : Dieu le Père a un jour marché sur la terre sous une forme corporelle, celle du père de la horde primordiale, et a été assassiné par ses fils.

Freud décrit la situation humaine de Moïse, son environnement géographique, social, politique, et évoque quelques traits personnels : sa difficulté à parler, son mauvais caractère qui apparaît dans les traits attribués au terrible dieu Yahvé.

Freud étudie les processus par lesquels Moïse a donné aux Juifs l’idée d’un dieu unique, et les processus qui ont fait un dieu d’un homme dans l’esprit des Juifs.

L’hypothèse que Moïse aurait été un égyptien n’est pas une invention de Freud, elle appartient à des théories qui avaient cours à son époque, mais elle a été ensuite extrêmement controversée.

Il s’agit de démonter le religieux, ses effets et ses sources : Moïse n’est pas juif mais égyptien, il n’est pas un père mais un fils.

À propos du statut étrange des pères :

  • non divins
  • non certifiés par le témoignage sensoriel
  • désignés comme pères par une opération de pensée des fils, par leur geste d’acceptation du nom
  • à la fois fils et pères
  • ont à se reconnaître fils d’un père afin de pouvoir devenir pères à leur tour
  • destitués de leur position immuable de pères

Le meurtre du père constitue le noyau de cet ouvrage sur la religion monothéiste. Pour Freud, le meurtre du père de la horde primitive fut réel avant de devenir psychique.

Les suites du meurtre du père : oubli, angoisse, culpabilité, nostalgie, déification.

Les traces du meurtre du père :

  • des documents inscrits dans le psychisme individuel : névroses, rêves, délires ;
  • des documents inscrits dans des lieux de langage : mythe, tradition symbolisme, langue.

Pour reconstituer l’histoire de Moïse, Freud utilise des documents matériels et des documents psychiques fournis par la psychanalyse.

Certaines formations psychiques (la religion, les mythes, les traditions, les rêves, les idées délirantes des malades, les romans familiaux des névrosés) contiennent non pas la vérité matérielle mais la vérité historique.

L’hypothèse de Freud est que Moïse était un égyptien contemporain d’Akhenaton, qu’il est devenu le guide du peuple juif du fait de la situation politique, et qu’il a dispensé à ce peuple le monothéisme du pharaon. Freud fait dériver le monothéisme juif du monothéisme égyptien.

La thèse de Freud sur la religion monothéiste repose aussi sur une autre certitude historique : l’assassinat de Moïse par le peuple qu’il avait élu.

Le meurtre primordial (le plus ancien, le premier) du père de la horde de la préhistoire a été refoulé. Mais ce meurtre a eu une survivance dans la culpabilité, qui s’est transmise immémorialement  (depuis un temps trop lointain pour que l’on puisse s’en souvenir) dans le psychisme des générations successives. La culpabilité et la nostalgie ont donné lieu à des cultes religieux.

Les fondateurs de religions sont les cibles du resurgissement de ce désir meurtrier : Moïse, le Christ furent de nouvelles incarnations du père primordial à tuer.

La haine du Juif serait le prix à payer par le peuple juif, au cours des temps, pour sa négation d’avoir tué le père (l’image primitive de Dieu, et sa réincarnation dans Moïse), pour le refus de cet aveu, alors que les chrétiens sont absous du meurtre du père (le Christ) parce qu’ils l’avouent.

Freud cherche à démontrer que la figure de Moïse a historiquement deux sources, 2 Moïse fusionnés en 1 (le Moïse égyptien et le Moïse juif), tout comme le dieu des Juifs est formé de 2 dieux fusionnés en 1 (Aton et Yahvé).

Le monothéisme, culte de l’Un, a son répondant dans le narcissisme ordinaire, la fascination exclusive par une représentation imaginaire de soi, qui accompagne, à des degrés divers, toute formation névrotique.

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PLAN DE L’OUVRAGE « L’HOMME MOÏSE ET LA RELIGION MONOTHÉISME » (TROIS ESSAIS) :

I. MOÏSE, UN ÉGYPTIEN

II. SI MOÏSE FUT UN ÉGYPTIEN …

III. MOÏSE, SON PEUPLE ET LA RELIGION MONOTHÉISTE

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I. MOÏSE, UN ÉGYPTIEN

« L’homme Moïse, qui fut le libérateur du peuple juif, son législateur et celui qui lui donna sa religion (…) s’il a vécu, ce fut au XIIIe, peut-être au XIVe siècle avant (J.-C.). (…) La grande majorité des historiens a (…) affirmé que Moïse a réellement vécu et que l’exode d’Egypte qui se rattache à lui a effectivement eu lieu. »

À propos du nom Moïse :

« Moché en hébreu »

« La princesse égyptienne qui a sauvé le petit garçon exposé sur le Nil lui a donné ce nom en lui conférant cette justification étymologique : car je l’ai tiré de l’eau. »

« Moché peut signifier tout au plus celui qui tire dehors. »

« On a supposé (…) que le nom Moïse était issu du fonds linguistique égyptien. (…) Le mot égyptien mosé (…) signifie enfant. (On peut envisager) la possibilité que le porteur du nom égyptien ait été lui-même Egyptien. »

« Un héros est quelqu’un qui s’est élevé courageusement contre son père et qui à la fin l’a emporté sur lui par une victoire. »

« Les premières années d’enfance sont dominées par une surestimation grandiose du père (…) alors que plus tard, sous l’influence de la rivalité et de la déception réelle, l’enfant se détache de ses parents et adopte une attitude critique à l’égard de son père. »

Deux versions des origines de Moïse coexistent :

  1. Un Juif recueilli par des Égyptiens : Moïse serait « le fils de lévites juifs » et serait né dans une « famille fort modeste ». Puis cette première famille aurait été « remplacée par la maison royale d’Egypte » et « la princesse l'(aurait élevé) comme son propre fils ».
  2. Un Égyptien recueilli par des Juifs : « Le pharaon (aurait) eu un songe prophétique l’avertissant qu’un fils de sa fille constituerait un danger pour lui et son empire. C’est pourquoi il (aurait) fait exposer l’enfant sur le Nil après sa naissance. Mais celui-ci (aurait été) sauvé par des Juifs qui l'(auraient élevé) comme leur enfant. »

« Quand le mythe de rattache à un personnage historique, (…) en règle générale, la famille réelle (dans laquelle le grand homme est effectivement né et a grandi) coïncide avec la famille de basse condition (du mythe), la famille inventée avec la famille de haut rang. »

Hypothèse de Freud : « Moïse fut un Egyptien, probablement de haut rang, dont la légende (qui dut être créée au sein du peuple juif) a fait un Juif. (…) La vie de héros de l’homme Moïse débuta par un abaissement ; il descendit de sa hauteur pour aller vers les enfants d’Israël. »

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II. SI MOÏSE FUT UN ÉGYPTIEN …

Différences entre la religion judaïque et la religion égyptienne :

La religion judaïque : La religion égyptienne :
Nombre de divinité (s) :« un monothéisme d’une rigidité imposante ; il n’existe qu’un Dieu (…) unique, tout puissant, inaccessible ; le regarder n’est pas supportable, on n’a pas le droit de faire une image de lui, on n’a même pas le droit de prononcer son nom. « religion polythéiste qui contient « une foule innombrable de divinités »
Rapport à la mort:religion qui « a complètement renoncé à l’immortalité ; la possibilité d’une poursuite de l’existence après la mort n’est nulle part et jamais mentionnée. »« Nul peuple de l’antiquité n’a autant fait pour nier la mort, (…) rendre possible une existence dans l’au-delà (Osiris, dieu des morts, fut le plus populaire des dieux)

« Il se peut que la religion que Moïse a donnée à son peuple juif fut quand même la sienne propre, une religion égyptienne à défaut d’être la religion égyptienne. »

La religion d’Aton, première forme de monothéisme :

« Autour de 1375 avant J.-C., (…) (le pharaon Amenhotep IV, aussi appelé Aménophis) entreprit d’imposer à son peuple égyptien une nouvelle religion qui heurtait ses traditions millénaires et toutes les habitudes qui lui étaient familières. Il s’agissait d’un monothéisme strict, la première tentative en ce sens, (…) et avec la croyance en un Dieu unique naquit d’une manière quasi inévitable l’intolérance religieuse qui était demeurée étrangère à l’antiquité. (…) (Son) règne (…) ne dura que 17 ans ; très tôt après sa mort, survenue en 1358 (avant J.-C.), la nouvelle religion fut balayée, le souvenir du roi hérétique proscrit. »

Les origines de ce monothéisme égyptien :

  • « Des tendances étaient à l’oeuvre depuis assez longtemps, tendances qui allaient dans le sens de la représentation d’un dieu unique. (…) Maat, la déesse de la Vérité, de l’Ordre, de la Justice, était une fille du dieu du Soleil, Rê. Déjà sous Amenhotep III (père d’Amenhotep IV), la vénération du dieu solaire prit un nouvel essor, probablement par opposition avec le dieu de Thèbes Amon, devenu trop puissant. Un nom archaïque du dieu solaire, Aton (…), fut remis en honneur. »
  • « Les exploits militaires du grand conquérant Thoutmès III avaient fait de l’Égypte une puissance mondiale. (…) Cet impérialisme se reflétait à présent dans la religion en tant qu’universalisme et monothéisme.

Amenhotep IV s’est « rattaché au culte solaire de On. (…) Il célèbre le Soleil en tant que Créateur et conservateur de tout ce qui vit en Égypte et hors d’Égypte, avec une ferveur qui ne reparaîtra que des siècles plus tard dans les psaumes en l’honneur du dieu juif Yahvé. (…) Il n’est pas douteux (…) qu’il ne vénéra pas le Soleil en tant qu’objet matériel mais en tant que symbole d’un être divin dont l’énergie se manifestait dans ses rayons. »

Une « violente hostilité (…) dressa les prêtres d’Amon contre la réforme d'(Amenhotep IV), (…) au point que le souverain changea son nom, dont le nom du dieu Amon, à présent honni, formait une partie. (…) Au lieu d’Amenhotep, il se nomma désormais Akhenaton. (…) Akhenaton quitta Thèbes où dominait Amon. (…) Amon fut le plus durement frappé de la persécution du roi (…) Dans tout l’empire, les temples furent fermés, le service religieux fut prohibé, les biens des temples furent saisis. Le zèle du souverain alla si loin qu’il fit inspecter les monuments anciens et effacer sur eux le mot de dieu s’il était utilisé au pluriel. »

« La religion d’Aton n’était pas devenue populaire, elle était probablement restée limitée au petit cercle formant l’entourage du souverain. »

Après sa mort, « les anciennes religions de l’Égypte (ont) été rétablies. La religion d’Aton fut abolie, la résidence d’Akhenaton détruite et pillée, sa mémoire vilipendée comme celle d’un criminel. »

« Si Moïse fut un Egyptien, s’il transmit sa propre religion aux Juifs, ce fut celle d’Akhenaton, la religion d’Aton. »

Ressemblances entre la religion juive et la religion d’Aton :

La religion juive : La religion d’Aton :
Nombre de divinité (s) :










Rapport à la mort:











La circoncision:
« monothéisme rigoureux »
« Le monothéisme juif se montre encore plus abrupt que le monothéisme égyptien (…) lorsqu’il interdit absolument des représentations par des images »


« ne (veut) rien savoir de l’au-delà ni de la vie après la mort »










« (Moïse) a introduit chez (les Juifs) la pratique de la circoncision. »
« monothéisme rigoureux »










« Pour Akhenaton (le refus de la vie après la mort) était indispensable pour combattre la religion populaire dans laquelle Osiris, le dieu des morts, jouait un rôle peut-être plus grand que n’importe quel dieu du monde supérieur. »


« La pratique de la circoncision était depuis longtemps établie en Égypte. »

« Moïse fut un homme de naissance noble et de haut rang (…) peut-être (…) un membre de la maison royale. (…) Proche du pharaon, il fut un partisan convaincu de la religion nouvelle (la religion d’Aton) (…). À la mort du souverain, il vit s’effondrer toutes ses espérances et projets. (…) (Il aurait alors eu pour) « projet de fonder un nouvel empire, de trouver un nouveau peuple, auquel il voulut faire vénérer la religion que l’Égypte dédaignait. »

« L’exode d’Égypte se situerait entre 1358 et 1350 (av. J.-C.), c’est-à-dire après la mort d’Akhenaton. »

Le noyau de la thèse de Freud : « Le monothéisme juif dépend de l’épisode monothéiste de l’histoire égyptienne. »

Caractéristiques de Moïse :

  • « Nombre de traits de caractère que les juifs attribuèrent à la représentation primitive de leur dieu – (…) jaloux, sévère, implacable – provient (…) du souvenir de Moïse, car en réalité, ce ne fut pas un dieu invisible, ce fut l’homme Moïse qui les fit sortir d’Egypte. »
  • « Moïse aurait eu la parole difficile, autrement dit il aurait souffert d’inhibition de la parole ou d’un défaut de prononciation, de sorte qu'(…) il eut besoin du soutien d’Aaron (pour communiquer). (…) Le récit conserve peut-être le souvenir, légèrement déformé, du fait que Moïse fut un allophone (personne dont la langue maternelle est une langue étrangère dans la communauté où elle se trouve), qui ne pouvait communiquer sans interprète avec ses Néo-
  • « Moïse aurait eu la parole difficile, autrement dit il aurait souffert d’inhibition de la parole ou d’un défaut de prononciation, de sorte qu'(…) il eut besoin du soutien d’Aaron (pour communiquer). (…) Le récit conserve peut-être le souvenir, légèrement déformé, du fait que Moïse fut un allophone (personne dont la langue maternelle est une langue étrangère dans la communauté où elle se trouve), qui ne pouvait communiquer sans interprète avec ses Néo-Égyptiens sémitiques. »

Freud emprunte à Ernst Sellin l’hypothèse selon laquelle « le Moïse égyptien fut assassiné par les Juifs et que la religion qu’il avait introduite fut abandonnée. »

« Des éléments très divers ont contribué à la formation du peuple juif, mais la plus grande différence, au sein de ces tribus, était certainement le départ entre celles qui avaient vécu et celles qui n’avaient pas vécu le séjour en Egypte et ce qui s’ensuivit. (…) Les ex-Égyptiens furent vraisemblablement moins nombreux que les autres, mais ils se révélèrent plus forts sur le plan de la civilisation ; ils exercèrent une plus grande influence sur l’évolution du peuple parce qu’ils apportaient avec eux une tradition qui manquait aux autres. « 

Le nom du Dieu des Juifs :

« Le rituel juif prescrivait certaines restrictions dans l’emploi du nom de Dieu. Au lieu de Yahvé, il convenait de dire Adonaï. (…) L’interdiction du nom de Dieu est (…) un très antique tabou. (…) La pluralité des noms (Yahvé / Adonaï / Éloïm) est l’indice manifeste qu’il y avait à l’origine pluralité de dieux. »

« Comme les gens de Moïse attachaient une si grande importance à leur expérience de l’exode d’Égypte, il fallait que cet acte de libération fût l’œuvre de Yahvé. (…) L’Exode et la fondation de la religion furent rapprochés l’un de l’autre, le long laps de temps qui s’écoula entre les deux fut nié. »

Moïse l’Égyptien et Moïse le Madianite (deux personnes réelles fusionnées en un seul personnage mythique) :

« Moïse (…) fut (…) confondu avec un personnage postérieur : le fondateur de religion, gendre du prêtre madianite Jéthro, auquel il prêta son nom de Moïse. »

Les contradictions du texte biblique à propos de Moïse :

« (Moïse) (…) est (…) dépeint comme autoritaire, colérique, voire violent, et, malgré cela, il est dit de lui qu’il fut le plus doux et le plus patient de tous les hommes. Il est évident que ces dernières qualités n’auraient guère convenu à l’Égyptien Moïse (…) ; peut-être appartenaient-elles à l’autre, au Madianite. (…) Moïse (l’Égyptien) ne fut jamais à Cadès, (…) il n’entendit jamais le nom de Yahvé, et (…) le Moïse madianite ne foula jamais le sol de l’Égypte ni ne sut rien d’Aton.

« On a (…) pu supposer que les Israélites de ce temps primitif, donc les scribes de Moïse, n’ont pas été sans prendre part à l’invention du premier alphabet (l’ancien alphabet sémitique) » car « s’ils étaient soumis à l’interdiction des images, ils avaient (…) un motif pour abandonner les pictogrammes de l’écriture hiéroglyphique en adaptant ses caractères à une langue nouvelle ».

« Il fallut (…) donner de la place (à ce nouveau dieu Yahvé introduit à Cadès), effacer les traces de religions antérieures. (…) (Ceux qui revenaient d’Égypte) ne se laissèrent pas ôter l’exode d’Égypte, l’homme Moïse et la circoncision. (…) Il s’agissait de nier toute trace de l’influence égyptienne. On se débarrassa de l’homme Moïse en le déplaçant à Madian et à Cadès et en le confondant avec le prêtre de Yahvé fondateur de la religion. Il fallut conserver la circoncision (…) mais on ne ménagea pas les efforts pour détacher cette pratique de l’Égypte. (…) Des tentatives se (firent) jour pour nier directement que Yahvé fut un dieu nouveau, pour les Juifs un dieu étranger. Les légendes des patriarches du peuple, Abraham, Isaac et Jacob, sont utilisées dans cette intention. Yahvé assure qu’il fut déjà le dieu de ces ancêtres. (…) Yahvé (…) avait (…) exigé (la circoncision) d’Abraham ; il l'(avait) introduite en signe d’alliance entre Lui et les descendants d’Abraham. »

« Qu’un dieu (celui des Juifs) se choisisse (…) un peuple, le déclare son peuple et se déclare son dieu constitue (…) un cas unique dans l’histoire des religions humaines. Dans les autres cas, dieu et peuple appartiennent l’un à l’autre inséparablement. (…) Quelques fois (…) un peuple adopte un autre dieu, jamais (…) un dieu (ne) s’élit un autre peuple. » Cela correspond au fait que « Moïse avait condescendu à s’occuper des Juifs, en avait fait son peuple ; ils étaient son peuple élu. »

« Les patriarches avaient vécu en Canaan (selon la légende). (…) En se réclamant d’eux, (les Israélites immigrés) affirmaient (…) (leur) caractère autochtone et (…) se prémunissai(ent)contre la haine qui s’attachait au(x) conquérant(s) étranger(s) au pays. C’était un retournement habile: le dieu Yahvé ne leur rendait que ce que leurs ancêtres avaient un jour possédé. »

« De l’exode d’Égypte à la fixation du texte biblique (…) il s’écoula quelque 800 ans – la religion de Yahvé avait subi une élaboration rétrospective qui l’avait conduite à concorder, peut-être à s’identifier avec la religion originelle de Moïse. »

Le meurtre de Moïse (l’Égyptien) :

« Moïse, qui était issu de l’école d’Akhenaton, n’usa pas d’autres méthodes que le souverain ; il commanda, il imposa sa foi au peuple. Moïse connut le même destin qu’Akhenaton, celui qui attend tous les despotes éclairés. (…) Les individus mis sous tutelle (…) se soulevèrent et rejetèrent le poids de la religion qu’on leur imposait. »

« Le récit concernant la migration à travers le désert (…) relate une série de rébellions graves contre (l’)autorité (de Moïse), rébellions qui sont aussi – conformément à l’ordre de Yahvé – écrasées par une répression sanglante. (…) Le texte (biblique) narre (…) l’apostasie (renonciation publique à une confession, abandon d’une foi) du peuple qui se détourne de la nouvelle religion. C’est l’histoire du Veau d’or où (…) les bris des tables de la loi, qu’il faut entendre symboliquement (il a rompu la loi) est imputé à Moïse lui-même et motivé par son emportement indigné. »

« On regretta le meurtre de Moïse et (…) on chercha à l’oublier. (…) En rapprochant l’Exode de la fondation d’une religion dans l’oasis et en y faisant collaborer Moïse (l’Égyptien) à la place de l’autre fondateur (Moïse le Madianite), (…) on niait (…) l’évènement pénible de son éviction brutale. »

« Le Moïse égyptien avait donné (…) une représentation de Dieu (…) hautement spiritualisée, l’idée d’une divinité unique embrassant le monde entier, ayant de l’amour pour toute créature autant que toute-puissante qui, ennemie de tout cérémonial et de toute magie, fixait aux hommes comme but suprême une vie de vérité et de justice.

Dualité de l’histoire juive :

Il y eut donc « deux fondations de religion, la première refoulée par l’autre, qui cependant resurgit victorieusement derrière elle plus tard, deux fondateurs de religion, qui sont nommés tous les deux Moïse et dont nous avons à distinguer les personnalités. »

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III. MOÏSE, SON PEUPLE ET LA RELIGION MONOTHÉISTE :

PREMIÈRE PARTIE :

REMARQUE PRÉLIMINAIRE I :

« La recherche psychanalytique (…) est (…) l’objet d’une attention méfiante de la part du catholicisme. (…) Notre travail (…) réduit (en effet) la religion à l’état de névrose de l’humanité et explique son imposante puissance de la même façon que la pulsion névrotique chez les individus que sont nos patients. »

REMARQUE PRÉLIMINAIRE II :

« Les phénomènes religieux ne sont accessibles à notre compréhension que d’après le modèle des symptômes névrotiques bien connus de l’individu, en tant que retour de processus importants, depuis longtemps oubliés, ayant eu lieu au cours de l’histoire primitive de la famille humaine. »

A. – LA PRÉMISSE HISTORIQUE :

  • Ce qui est établi historiquement :

« Par les conquêtes de la 18e dynastie, l’Égypte est devenue une puissance mondiale. (…) Sous l’influence des prêtres du dieu solaire de On (Héliopolis) (…) surgit l’idée d’un dieu universel, Aton, qui ne se limite plus à un pays et à un peuple. (…) (Le pharaon Amenhotep) élève la religion d’Aton à la hauteur de religion d’État ; par lui, le dieu universel devient le dieu unique ; tout ce qu’on affirme d’autre dieux est mensonge et tromperie. (…) Il s’oppose à toutes les tentations de la pensée magique, il rejette l’illusion particulièrement chère aux Égyptiens d’une vie après la mort. (…) Il voit dans l’énergie du rayonnement solaire la source de toute vie sur la terre et la vénère comme le symbole de la puissance de son dieu. Il se fait gloire (…) de vivre en Maat (justice et vérité). (La religion d’Aton) est (…) le premier (…) cas de religion monothéiste dans l’histoire de l’humanité. (…) La vengeance des clergés qu'(Amenhotep) avait opprimés se déchaîna (…) contre sa mémoire ; la religion d’Aton fut abolie. (…) La réforme d’Akhenaton semblait un épisode destiné à l’oubli. »

  • La continuation hypothétique des évènements selon Freud :

« Parmi les gens de l’entourage d’Akhenaton se trouvait un homme (…) (qui) était un partisan convaincu de la religion d’Aton (…) (et pour qui) la mort d’Akhenaton et l’abolition de sa religion signifiait la fin de toutes ses attentes. Il ne pouvait continuer à vivre en Égypte que comme proscrit ou comme renégat. (…) Entré en contact avec une ethnie sémitique qui avait émigré en ce lieu quelques générations plus tôt (…) il se tourna vers ces étrangers. (…) Il les élut pour en faire son peuple. (…) Après avoir quitté l’Égypte avec eux, accompagné de sa suite, il les sanctifia par le signe de la circoncision, leur donna des lois, les introduisit dans les enseignements de la religion d’Aton. (…) Les prescription que cet homme Moïse donna à ses Juifs furent (…) plus strictes que celles (d’Akhenaton). (Il) cessa de s’étayer sur le dieu solaire de On. (…) Les Juifs (…) se montrèrent rétifs et rebelles à l’égard de leur législateur et chef, se soulevèrent un jour contre lui, l’assassinèrent et rejetèrent la religion d’Aton qui leur était imposée. (…) Ces Juifs qui revenaient d’Égypte s’unirent plus tard avec des tribus qui leur étaient étroitement apparentées, sur la terre située entre la Palestine, le presqu’île du Sinaï et l’Arabie, et (…) là, dans le site de Cadès, sous l’influence des Madianites arabes, ils adoptèrent une nouvelle religion, le culte du dieu des volcans Yahvé. Peu après, ils furent prêts à entrer en conquérants dans le pays de Canaan. (…) L’établissement en Canaan de ce qui deviendra le peuple juif (…) fut (…) un processus qui s’étendit sur des durées assez longues (une génération : 30 ans, ce qui correspondrait aux 40 ans de marche dans le désert dont parle le texte biblique). (…) Lors de l’union des tribus et de la fondation de religion un compromis intervint à Cadès (…). L’un des partenaires s’attacha uniquement à nier le caractère nouveau et étranger du dieu Yahvé et à accroître la soumission qu’il exigeait du peuple ; l’autre ne voulait pas renoncer aux souvenirs de sa libération d’Égypte, (…) ni à la figure grandiose du chef Moïse, et il réussit (…) à intégrer l’évènement aussi bien que l’homme dans la nouvelle représentation de la préhistoire du peuple juif, à conserver (…) la circoncision, et (…) à imposer certaines restrictions dans l’usage du nouveau nom divin. (…) L’éviction brutale du grand homme (le Moïse Égyptien) devait être soustraite à la connaissance des générations suivantes. (…) (au départ) le dieu Yahvé n’avait certainement aucune analogie avec le dieu mosaïque (= qui provient de Moïse : le dieu Aton). (…) (Puis au cours du) développement religieux juif, (…) le dieu Yahvé perdit ses caractères propres au cours des temps et (…) acquit toujours plus d’analogie avec Aton, l’antique dieu de Moïse (…) (pour lui devenir) à la fin semblable. »

Résumé des différentes étapes :

  1. religion d’Aton imposée par Akhenaton aux Égyptiens
  2. religion d’Aton abolie à la mort d’Akhenaton
  3. religion d’Aton imposée par Moïse aux Juifs
  4. religion d’Aton rejetée par les Juifs après le meurtre de Moïse
  5. période de latence, oubli du meurtre de Moïse
  6. culte du dieu Yahvé adopté par les Juifs
  7. fusion entre le culte de Yahvé et la religion d’Aton de Moïse

B. – PÉRIODE DE LATENCE ET TRADITION :

« L’idée d’un dieu unique, (…) le rejet du cérémonial à effet magique et l’insistance mise sur l’exigence éthique formulée au nom de ce dieu (les différentes doctrines mosaïques) (…) tout d’abord ne trouvèrent nulle audience mais commencèrent à agir après une longue période intermédiaire et s’imposèrent enfin durablement. »

« Il faut du temps jusqu’à ce que le travail de compréhension du moi ait surmonté des objections qui sont maintenues à travers de puissants investissements affectifs. »

« Nous avons affaire à un phénomène de psychologie des masses. »

« Il existe (…) une concordance sur un point entre le problème de la névrose traumatique et celui du monothéisme juif : (…) la latence. Il existe en effet dans l’histoire juive un long laps de temps après l’abandon de la religion mosaïque, temps au cours duquel on ne trouve plus la trace de l’idée monothéiste, du mépris du cérémonial et de l’extrême insistance sur l’éthique. »

« Les gens venus d’Égypte avaient apporté avec eux l’écriture et le goût de la narration historique. (…) Il put naître une opposition entre la fixation écrite et la transmission orale du même évènement, la tradition. (…) Il existait (…) même sur la fin de Moïse une tradition qui contredisait la version officielle et se rapprochait bien plus de la vérité. (…) Ces traditions (…) devinrent toujours plus puissantes au cours des siècles (…) (et influèrent) d’une manière décisive sur la pensée et l’action du peuple. (…) Ce fut cette tradition (…) qui continua à agir à l’arrière-plan (…) et qui arriva enfin à faire de Yahvé le dieu mosaïque et à rappeler à la vie la religion de Moïse qui avait été instaurée de longs siècles plus tôt, puis avait été abandonnée. »

C. – L’ANALOGIE :

Freud voit une analogie entre cette latence dans l’histoire juive (psychologie des masses) et la latence présente dans la névrose (psychologie de l’individu).

D. – APPLICATION :

« Formule » pour décrire le « développement d’une névrose » :

  1. « traumatisme précoce »
  2. « défense »
  3. « latence »
  4. « éruption de la maladie névrotique »
  5. « retour partiel du refoulé »

« Dans la vie de l’espèce humaine il s’est produit des processus analogues à ceux qui ont lieu dans la vie des individus (…), des processus à contenu sexuel-agressif, qui ont laissé des conséquences durables (les phénomènes religieux) mais furent le plus souvent objet de défense, tombèrent dans l’oubli, qui ont produit leur effet plus tard, après une longue latence. »

Idée évolutionniste :

« L’espèce humaine a une préhistoire (…) inconnue, c’est-à dire oubliée. (…) Dans des temps primitifs, l’homme primitif vivait en petites hordes, dont chacune était placée sous la domination d’un mâle puissant (…) (qui) était le maître et le père de toute la horde ; il n’était pas limité dans son pouvoir, dont il faisait usage avec brutalité. Tous les êtres féminins étaient sa propriété, les femmes de sa propre horde et leurs filles, comme (…) celles qui avaient été enlevées à d’autres hordes. Le destin des fils était dur ; quand ils éveillaient la jalousie du père, ils étaient assommés ou châtrés ou bannis. Ils étaient contraints de vivre ensemble dans de petites communautés et de se procurer des femmes par rapt, l’un ou l’autre pouvant alors parvenir à se créer une position analogue à celle du père dans la horde primitive. (…) (L)es plus jeunes fils (…), protégés par l’amour des mères, pouvaient tirer avantage du vieillissement du père et le remplacer après sa mort (>bannissement des fils aînés VS préférence accordée aux cadets). (…) Les frères chassés, vivant en communauté, s’associèrent, vainquirent le père et le dévorèrent cru. (…) Ils haïssaient et craignaient le père ; il le vénéraient aussi comme un modèle et chacun voulait en réalité se mettre à sa place. L’acte cannibale (était) (…) une tentative d’identification avec lui par incorporation d’un morceau de lui (on constate chez nos enfants, par l’investigation analytique, les mêmes attitudes affectives que celles de ces hommes primitifs). (…) Au meurtre du père succéda un temps assez long pendant lequel les frères se disputèrent entre eux au sujet de l’héritage paternel. (…) Finalement (ils) s’unir(ent) (et) conclur(ent) une sorte de contrat social. La première forme d’organisation sociale vit le jour, avec renoncement aux pulsions, reconnaissance d’obligations mutuelles, mise en place de certaines institutions déclarées inviolables (sacrées), autrement dit les commencements de la morale et du droit. Chaque individu renonça à l’idéal d’acquérir pour soi la position du père, à la possession de la mère et des sœurs. Ainsi furent donnés le tabou de l’inceste et l’obligation de l’exogamie (= obligation pour les membres d’un groupe social, famille/clan/ tribu/… de choisir leur conjoint en dehors de celui-ci). (…) Une bonne partie du pouvoir absolu libéré par l’éviction (= action d’évincer) du père passa aux femmes, ce fut la venue du temps du matriarcat. (…) On découvrit, comme substitut du père, un animal puissant, (…) redouté : (…) l’animal totémique. Le totem passa (…) pour l’ancêtre physique et l’esprit protecteur du clan, il devait être vénéré et ménagé ; (…) il fut institué un jour de fête où on lui réserva le destin qu’avait trouvé le père primitif. Il fut tué et dévoré en commun par tous les membres du clan (>repas totémique) (…) (c’)était en réalité une célébration triomphale de la victoire des fils associés sur le père. (…) (Puis l’animal totémique vénéré fut humanisé). Des dieux humains prennent la place des animaux. (…) Le matriarcat fut remplacé par un ordre patriarcal restauré. (…) Les déesses mères naquirent (…) à l’époque de la limitation du matriarcat comme dédommagement pour les mères repoussées à l’arrière-plan. Les dieux mâles apparaissent d’abord en tant que fils à côté des Grandes Mères, plus tard (…) ils prennent (…) les traits de figures paternelles. Ces dieux mâles du polythéisme reflètent les conditions de l’époque patriarcale. Ils sont nombreux, se limitent mutuellement, se subordonnent (…) à un haut-dieu qui leur est supérieur. (…) (Puis il y eut) le retour du dieu père seul et unique, à la domination illimitée. »

« Le rite de la communion chrétienne, dans laquelle le croyant s’incorpore sous une forme symbolique la chair et le sang de son dieu, répète la signification et le contenu de l’antique repas totémique (en son sens de tendresse, qui exprime la vénération, non pas en son sens agressif). »

On trouve dans « l’étude analytique de la vie psychique enfantine » des traces de ces temps primitifs :

  • « les phobies d’animaux »
  • « la peur (…) d’être mangé par le père »
  • « l’angoisse de castration »

« On reconnaîtra deux sortes d’éléments dans les enseignements religieux » :

  • « des fixations à l’ancienne histoire familiale et des vestiges de celle-ci » ;
  • « des restaurations du passé, des retours de l’oublié, après de longs intervalles.

« Tout morceau de passé qui revient se fraie un chemin avec une puissance particulière, (…) il exerce une influence incomparablement forte sur les masses humaines et élève une prétention irrésistible à la vérité. »

« Nous devons concéder (…) aux dogmes des religions un (…) contenu de vérité (…) historique. »

« L’empire universel pharaonique a permis l’émergence de l’idée monothéiste ; (…) celle-ci, détachée de son sol et transférée à un autre peuple, prend possession de ce peuple après une longue période de latence, (…) elle est conservée par ce peuple comme le bien le plus précieux et (…) elle maintient le peuple en vie, en lui dispensant l’orgueil de l’élection. C’est la religion du père primitif, à laquelle se rattache l’espoir d’une récompense, d’une distinction et enfin de la domination universelle. »

« Les traits particuliers de la religion monothéiste empruntée aux Égyptiens durent agir sur le peuple juif et façonner à la longue son caractère par le refus de la magie et de la mystique, l’incitation à accomplir des progrès dans la vie de l’esprit, l’encouragement à des sublimations. (…) Le peuple (juif), animé par la possession de la vérité, pénétré de la conscience de l’élection, en arriva à faire grand cas des choses intellectuelles et à mettre l’accent sur l’éthique. (…) Les destinées affligeantes, les déceptions réelles de ce peuple purent renforcer toutes ces tendances. »

« Il semble qu’un sentiment croissant de culpabilité se soit emparé du peuple juif (…) en tant que précurseur du retour du contenu refoulé. Jusqu’à ce qu’un homme (Paul) issu de ce peuple juif trouvât, dans la justification d’un agitateur politico-religieux, l’occasion par laquelle une religion nouvelle, la religion chrétienne, se détacha du judaïsme. Paul, Juif romain de Tarse, s’empara de ce sentiment de culpabilité et le ramena correctement à sa source historique primitive. Il nomma celle-ci le péché originel ; c’était un crime contre Dieu qui ne pouvait être expié que par la mort. Par le péché originel, la mort était entrée dans le monde. En réalité, ce crime digne de mort avait été le meurtre du père primitif, plus tard divinisé. Mais on ne se rappela pas l’acte du meurtre ; à sa place on fantasma son expiation (…). Un fils de Dieu (Jésus Christ) s’était laissé mettre à mort comme victime innocente et ce faisant avait pris sur lui la faute de tous. Ce devait être un fils, car le meurtre avait été commis sur le père. (…) Que le Rédempteur (= Jésus-Christ, qui, par sa crucifixion, a racheté le genre humain et l’a sauvé de la mort éternelle) se fût sacrifié tout en étant sans faute constituait manifestement une déformation (…). Le rédempteur ne pouvait être un autre que le principal coupable, le chef de la bande des frères, qui avait terrassé le père. (…) Le judaïsme avait été une religion du père, le christianisme fut une religion du fils. L’antique Dieu Père rétrograda derrière le Christ ; Christ, le fils, vint à sa place. »

Comment expliquer le succès du christianisme ?

  • « par l’idée de rédemption, Paul conjura le sentiment de culpabilité de l’humanité ;
  • il abandonna l’idée de l’élection de son peuple et son signe visible, la circoncision, de manière que la religion nouvelle pût devenir une religion universelle, englobant tous les hommes.

« (La religion chrétienne) constitua une régression culturelle par rapport à (…) la religion juive, comme c’est d’ailleurs régulièrement le cas lorsque de nouvelles masses humaines, d’un niveau inférieur, font leur entrée ou sont admises quelque part. La religion chrétienne ne se maintint pas au degré de spiritualisation auquel le judaïsme s’était élevé. Elle n’était plus strictement monothéiste, (…) elle restaura la grande déesse mère et trouva place pour accueillir un grand nombre de déités du polythéisme, reconnaissables sous leur voile (…). Elle ne se ferma pas à l’intrusion d’éléments magiques et mystiques (…). »

« Le triomphe du christianisme fut une nouvelle victoire des prêtres d’Ammon sur le dieu d’Akhenaton, après un intervalle d’un millénaire et demi. »

Freud cherche à « comprendre comment il se fait que l’idée monothéiste produisit une si profonde impression au peuple juif et comment celui-ci put la maintenir si obstinément » :

« Le destin avait rapproché du peuple juif l’acte capital et le forfait du temps primitif, le meurtre du père, en le lui faisant répéter sur la personne de Moïse, éminente figure paternelle. (…) La mise en acte prit la place du souvenir. (…) Mais à l’incitation au souvenir que leur apportait la doctrine de Moïse, ils réagirent par la dénégation de leur acte, en restèrent à la reconnaissance du père éminent. (…) Ce n’est pas non plus le hasard, si la mise à mort brutale d’une autre grand homme fut aussi le point de départ de la nouvelle religion de Paul (le christianisme). D’un homme (Jésus-Christ) qu’un petit nombre de partisans, en Judée, tenait pour le fils de Dieu et le Messie annoncé. (…) Paul, qui devint son apôtre, ne l’a pas connu personnellement. »

« (Il y a) un lien important entre l’évènement oublié du temps primitif et sa réémergence sous la forme des religions monothéistes. (…) Le repentir suscité par la mort de Moïse donna son impulsion au fantasme de désir du Messie, qui devait revenir et apporter à son peuple la délivrance ainsi que l’empire du monde. Si Moïse fut ce premier Messie, alors le Christ est devenu son substitut et son successeur. (…) Alors la résurrection du Christ comprend (…) un élément de vérité historique, car il était Moïse ressuscité et derrière lui le Père primitif de la horde originaire, transfiguré et ayant pris en tant que Fils la place du Père. »

  1. meurtre du Père primitif de la horde originaire (évènement oublié)
  2. réémergence dans le judaïsme : meurtre de Moïse (évènement oublié puis dénié par les Juifs)
  3. réémergence dans le christianisme : meurtre de Jésus-Christ (évènement reconnu par les Chrétiens)

Explications freudiennes de l’antisémitisme de son temps :

  • « Le malheureux peuple juif qui continua à nier avec sa ténacité habituelle le meurtre du père a payé cher pour cela dans le cours des temps. On ne cessa de lui jeter ce reproche : Vous avez tué notre dieu. »
  • « Le reproche fait au Juifs d’être étrangers au pays (alors même qu’) en beaucoup de lieux, aujourd’hui dominés par l’antisémitisme, les Juifs appartiennent aux parties les plus anciennes de la population, où il étaient même avant les habitants actuels. »
  • « Le fait qu’ils vivent le plus souvent en tant que minorités parmi les autres peuples car le sentiment de communauté des masses a besoin de se compléter avec l’hostilité contre une minorité extérieure à elles, et la faiblesse numérique de ces exclus incite à l’oppression. »
  • « (Le fait) qu’ils soient (…) différents de leurs peuples d’accueil, (…) héritiers de la civilisation méditerranéenne. »
  • « (Le fait) qu’ils défient toutes les oppressions, que les plus cruelles persécutions n’ont pas réussi à les exterminer. »
  • « (Le fait) qu’ils montrent (…) la capacité de s’affirmer dans la vie économique et, là où on les y autorise, celle d’apporter des contributions de valeur à toutes les activités culturelles. »
  • « La jalousie à l’égard du peuple qui se donna pour l’enfant premier-né, favori de Dieu le Père, n’est pas surmontée chez les autres, comme s’ils avaient ajouté foi à cette prétention. »
  • « La circoncision a toujours produit une impression déplaisante, inquiétante (…) parce qu’elle rappelle la castration redoutée et touche ainsi à un fragment du passé primitif qu’on oublie volontiers. »
  • « Tous les peuples qui s’adonnent aujourd’hui à l’antisémitisme ne sont devenus chrétiens que tardivement et y furent souvent obligés par une contrainte sanglante. (…) Sous une mince teinture de christianisme, ils sont restés ce qu’étaient leurs ancêtres, épris d’un polythéisme barbare. Ils n’ont pas surmonté leur aversion contre la religion nouvelle (le monothéisme) (…) mais ils l’ont déplacée sur la source d’où leur est venu le christianisme (le judaïsme). (…) Leur antisémitisme est au fond de l’anti-christianisme. »

E. – DIFFICULTÉS :

« La religion mahométane (…) apparaît comme une répétition abrégée de la fondation de la religion juive, dont elle se manifesta comme une imitation. (…) Le Prophète eut d’abord l’intention d’adapter intégralement le judaïsme pour lui et son peuple. La récupération du seul grand Père primitif produisit chez les Arabes un extraordinaire accroissement de leur conscience d’eux-mêmes, qui conduisit à des grands succès temporels mais s’épuisa aussi avec eux. (…) Mais le développement intérieur de la nouvelle religion s’arrêta bientôt, peut-être parce qu’il manquait l’approfondissement que produisit, dans le cas du peuple juif, le meurtre du fondateur de la religion. »

« La concordance entre l’individu et la masse est presque parfaite sur ce point ; dans les masses aussi l’impression du passé se conserve dans des traces mnésiques inconscientes. (…) Quelque chose peut-être oublié et se manifester à nouveau au bout d’un certains temps. L’oublié n’est pas effacé, mais seulement refoulé ; ses traces mnésiques (…) sont inconscientes. (…) Ce qui était refoulé jusque-là ne vient (pas) à la conscience franchement, sans modification ; il doit au contraire subir des déformations qui témoignent de l’influence de la résistance, pas entièrement surmontée, qui vient du contre-investissement, ou de l’influence modificatrice du vécu récent, ou des deux. »

« Lorsque nous parlons de la conservation d’une ancienne tradition dans un peuple, de la formation d’un caractère national, nous pensons le plus souvent à une tradition qui se perpétue par communication. (…) Mais (…) nous ne pouvons (…) pas nous passer (du) facteur de l’évolution biologique. (…) Les instincts des animaux (…) leur permettent de se comporter dès le départ dans une situation de vie nouvelle comme si c’était une situation ancienne, depuis longtemps familière. (…) Ils apportent dans leur existence nouvelle d’individus les expériences de leur espèce, donc (…) ils ont conservé en eux des souvenirs de ce qui avait été vécu par leurs ancêtres. Il n’en irait au fond pas autrement de l’animal homme. Son propre héritage archaïque correspond aux instincts des animaux. »

« Les humains ont toujours su – de cette manière particulière – qu’ils ont ont possédé un jour un père primitif et qu’ils l’ont mis à mort. »

  • À quelles conditions un tel souvenir pénètre-t-il dans l’héritage archaïque?

> « Lorsque l’évènement était suffisamment important et qu’il s’est répété un nombre de fois suffisant, ou les deux. Dans le cas du meurtre du père, les deux conditions sont remplies. »

  • En quelles circonstances peut-il (…) sortir de son état inconscient (…) pour pénétrer dans la conscience, même s’il est modifié ou déformé?

> C’est une « répétition récente réelle de l’évènement » qui engendre le « réveil de la trace mnésique oubliée ». « Le meurtre de Moïse fut une telle répétition, (tout comme) plus tard ce qui fut considéré comme le meurtre judiciaire du Christ. »

« Une tradition qui ne serait fondée que sur la communication ne pourrait pas produire le caractère de contrainte qui appartient aux phénomènes religieux. On lui prêterait l’oreille, on la jugerait, on la rejetterait éventuellement comme n’importe quelle nouvelle venue de l’extérieur. (…) Elle doit avoir subi d’abord le destin du refoulement, l’état de ce qui séjourne dans l’inconscient, avant de pouvoir plier les masses à son empire. »

DEUXIÈME PARTIE :

RÉSUMÉ ET RÉCAPITULATION :

a) LE PEUPLE D’ISRAËL :

« De tous les peuples qui ont habité, dans l’antiquité, autour du bassin méditerranéen, le peuple juif est à peu près le seul qui subsiste aujourd’hui encore avec son nom et (…) sa substance. »

Freud veut « comprendre (…) d’où vient cette vitalité des Juifs et de quelle manière leur caractère s’accorde avec leurs destinées. »

Traits de caractère des Juifs :

« Ils ont une opinion particulièrement haute d’eux-mêmes, (…) se considèrent comme plus nobles, d’une situation plus haute, supérieurs aux autres, (…) sont animés d’une confiance particulière dans la vie, (…) d’une sorte d’optimisme, (…) de confiance en Dieu. (…) Ils se considèrent vraiment comme le peuple élu de Dieu, croient être particulièrement proches de lui, ce qui les rend fiers et confiants. »

« Quand on est le favori déclaré du père redouté, il n’y a pas à s’étonner de la jalousie des frères et sœurs. (…) Lorsqu’il plut à Dieu, plus tard, d’envoyer à l’humanité un Messie et Rédempteur, il le choisit de nouveau dans le peuple des Juif. (…) La rédemption de Jésus-Christ n’apporta à ces peuples qu’un renforcement de leur antisémitisme. (…) C’est à (Moïse) que ce peuple doit la ténacité qu’il met à vivre, mais aussi une grande part de l’hostilité qu’il a suscité et suscite encore. « 

b) LE GRAND HOMME :

« Le grand homme influence ses contemporains de deux manières : par sa personnalité et par l’idée pour laquelle il s’engage. (…) Il existe dans la masse humaine le fort besoin d’une autorité que l’on puisse admirer, devant laquelle on s’incline, par laquelle on est dominé, et même éventuellement maltraité. (…) (Ce besoin de la masse vient de) la nostalgie du père, (…) que le héros de la légende s’enorgueillit d’avoir dépassé. (…) tous les traits dont nous parons le grand homme sont des traits paternels (…) : la résolution de la pensée, la force de la volonté, l’énergie des actions, (…) l’autonomie et l’indépendance du grand homme, sa divine insouciance, qui peut se hausser jusqu’à l’absence de scrupules. On doit admirer (le père), on a le droit de lui faire confiance, mais on ne peut s’empêcher de le craindre aussi. »

« Ce fut (…) un (…) modèle paternel qui, en la personne de Moïse, condescendit à assurer aux misérables serfs juifs qu’ils étaient ses enfants aimés. Et la représentation (du) dieu (…) pour qui ils n’étaient pas trop infimes pour qu’il conclût une alliance avec eux et qui leur promettait de veiller sur eux s’ils l’adoraient fidèlement (ne doit pas avoir agi moins puissamment sur eux). »

« La preuve qu’il exista une disposition particulière dans la masse qui était devenu le peuple juif , c’est qu’elle put produire un si grand nombre d’individus qui furent prêts à prendre sur eux le fardeau de la religion de Moïse pour obtenir la récompense d’être des élus. »

c) LE PROGRÈS DANS LA VIE DE L’ESPRIT :

« Pour arriver à produire des effets psychiques durables au sein d’un peuple, il ne suffit (…) pas de lui assurer qu’il est élu par la divinité. Il faut aussi le lui prouver (…). L’exode d’Égypte fut cette preuve. (…) La fête de Pâque, une fête qui existait déjà depuis longtemps, reçut ce souvenir comme contenu (et fixa le souvenir de cet évènement). »

En plus de « l’accroissement de (l’)amour-propre (du peuple juif) par la conscience de son élection« , ‘la religion apporta aussi aux Juifs une représentation de Dieu (…) sublime. Celui qui croyait en ce dieu participait (…) à sa grandeur, pouvait se sentir lui-même élevé. (…) La fierté qu’inspire la grandeur de Dieu coïncide avec celle de l’élection. »

« L’interdiction de se faire une image de Dieu, donc l’obligation d’adorer un Dieu que l’on ne peut voir, (…) signifiait (…) une mise en retrait de la perception sensorielle au profit d’une représentation (…) abstraite, un triomphe de la vie de l’esprit sur la vie sensorielle, (…) un renoncement aux pulsions. (…) Par l’interdiction mosaïque, Dieu fut haussé à une degré supérieur de spiritualité (…). Tous les progrès de cet ordre dans la vie de l’esprit ont pour effet d’accroître l’amour-propre de l’individu, de le rendre fier, de telle manière qu’il se sent supérieur à d’autres restés sous l’emprise sensorielle sous l’emprise de la vie sensorielle. (…) Moïse avait conféré aux Juifs l’orgueil d’être un peuple élu ; la dématérialisation de Dieu ajouta une pièce nouvelle (…) au trésor secret du peuple. »

« Immédiatement après la destruction du temple de Jérusalem par Titus, le rabbin Yochanan ben Zachaï sollicita l’autorisation d’ouvrir la première école où l’on enseigna la Tora (…). De ce moment ce furent l’Écriture sainte et l’intérêt spirituel qu’elle inspira qui tinrent ensemble le peuple dispersé. »

d) RENONCEMENT AUX PULSIONS :

« Un progrès de la vie de l’esprit, un rabaissement de la vie sensorielle (élève) la conscience qu’un peuple a de son être. »

« Le grand homme est (…) l’autorité pour l’amour de laquelle on accomplit une action, et comme le grand homme lui-même exerce une action grâce à sa ressemblance avec le père, on ne doit pas s’étonner que dans la psychologie des masses il lui revienne de jouer le rôle du surmoi. »

« Dans le développement de l’humanité, la vie sensorielle est peu à peu dominée par la vie de l’esprit et les hommes se sentent fiers de tout progrès de cette sorte, élevés à un niveau supérieur. (…) Plus tard, il se produisit encore une autre évolution : la vie de l’esprit elle-même est dominée par le phénomène émotionnel, tout à fait énigmatique, de la foi. C’est le fameux credo quia absurdum (= je le crois parce que c’est absurde), et celui qui en est arrivé là considère cela comme une réalisation de l’ordre le plus élevé. (…) Peut-être l’homme déclare-t-il simplement supérieur ce qui est difficile pour lui, et son orgueil n’est-il que le narcissisme accru par la conscience d’une difficulté surmontée. »

« La religion qui a commencé par l’interdiction de se faire une image de Dieu se développe (…) dans le sens d’une religion des renoncements aux pulsions (rétrécissement notable de la liberté sexuelle). (…) Dieu est totalement détaché de la sexualité pour être élevé à un idéal de perfection éthique (limitation des pulsions). (…) Dieu n’exige rien d’autre de son peuple qu’une conduite juste et vertueuse, donc qu’il s’abstienne de toutes les satisfactions pulsionnelles qui sont condamnées (…) par notre morale comme vicieuses. »

« Le totémisme, la première forme de religion (…), apporte avec lui une série de commandements et d’interdictions qui font partie intégrante du système » :

  • « des renoncements aux pulsions : la vénération du totem qui inclut l’interdiction de lui nuire ou de le tuer » ;
  • « l’exogamie, c’est-à-dire le renoncement, à l’intérieur de la horde, aux mères et aux sœurs passionnément désirées » ;
  • « la reconnaissance des droits égaux à tous les membres de l’alliance des frères, donc la limitation de la tendance à une rivalité violente entre eux ».

« Le sacré est (…) quelque chose qu’on n’a pas le droit de toucher. Une prohibition sacrée possède une forte tonalité affective, mais au fond sans justification rationnelle. (…) On tient l’interdit comme allant de soi, (…) on ne sait comme le justifier. »

« L’inceste existe chez les dieux, les rois et les héros. »

« La circoncision est le substitut symbolique de la castration que le père primitif avait jadis infligé à ses fils, dans la plénitude de son pouvoir, et celui qui adoptait ce symbole montrait qu’il était prêt à se soumettre à la volonté du père, même quand elle lui imposait le sacrifice le plus douloureux. »

« Une partie de ce qu(e) (l’étique) prescrit se justifie d’une manière rationnelle par la nécessité de délimiter les droits de la communauté face à l’individu, les droit de l’individu face à la société et ceux des individus les uns par rapport aux autres. En revanche, ce qui dans l’éthique nous apparaît grandiose, mystérieux, évident d’une manière mystique doit ces caractères à leur connexion avec la religion, à son origine qui découle de la volonté du père. »

e) LE CONTENU DE VÉRITÉ DE LA RELIGION :

« Le peuple juif rejeta la religion de Moïse après un certain temps (…). Au cours des longues années où les Juifs prirent possession de Canaan et luttèrent contre les peuples qui y habitaient, la religion de Yahvé ne se distingua pas essentiellement du culte des autres Baals (dieux païens des phéniciens et autres peuples sémites) (…). Toutefois la religion de Moïse n’avait pas disparu sans laisser de traces ; un certain souvenir s’était conservé, un souvenir obscurci et déformé (…). C’est cette tradition d’un grand passé qui continua d’agir, en quelque sorte par l’arrière-plan, qui prit peu à peu toujours plus de pouvoir sur les esprits, qui parvinrent finalement à transformer le dieu Yahvé en dieu de Moïse et à rappeler à la vie la religion de Moïse instituée bien des siècles auparavant puis abandonnée. »

f) LE RETOUR DU REFOULÉ :

« Au commencement d’une telle évolution, il y a toujours une identification au père qui remonte à la première enfance. Celle-ci est ensuite écartée, même surcompensée, et enfin elle s’instaure à nouveau.« 

« Les expériences vécues au cours des cinq premières années prennent sur la vie une influence déterminante à quoi rien de postérieur ne pourra s’opposer. (…) Ces premières impressions s’affirment à l’encontre de toutes les influences issues d’époques plus tardives. (…) Ce que les enfants de deux ans ont vécu sans le comprendre, ils n’ont jamais à s’en souvenir en dehors des rêves. Seul un traitement psychanalytique peut le leur faire connaître ; mais plus tard, à un moment quelconque, cela fait irruption dans leur vie, avec des impulsions contraignantes, cela oriente leurs actes, cela leur impose des sympathies et des antipathies, décide très souvent de leur choix amoureux, que dans bien des cas il est impossible de fonder rationnellement. »

« Tous les phénomènes de formation du symptôme peuvent être décrits (…) comme retour du refoulé. Leur caractère distinctif est l’importante déformation qu’a subie l’élément qui fait retour par rapport à l’élément originaire.« 

g) LA VÉRITÉ HISTORIQUE :

« La religion de Moïse n’a exercé son influence sur le peuple juif qu’au moment où elle est devenue tradition. »

« Nous comprenons que le primitif ait besoin d’un dieu en tant que créateur du monde, chef suprême de la tribu, protecteur personnel. (…) L’homme d’époques postérieures, de notre temps, se conduit de la même manière. Lui aussi demeure infantile et a besoin de protection, même lorsqu’il est adulte ; il estime qu’il ne peut se priver de s’appuyer sur son dieu. (…) Le progrès de l’hénothéisme (= culte prédominant rendu à un dieu particulier, tout en ne niant pas l’existence d’autres divinités) au monothéisme acquiert une signification capitale. (…) Le croyant prend (…) part à la grandeur de son dieu, et plus le dieu est grand plus sûre est la protection qu’il peut dispenser. (…) Lorsque ce dieu devint universel et se soucia de tous les pays et de tous les peuples, (…) on partageait en quelque sorte son dieu avec les étrangers et on devait s’en dédommager en se réservant de penser qu’on était ses favoris. (…) Il n’est rien que nous ne croyions plus facilement que ce qui va au-devant de nos illusions fondées sur des désirs, sans égard pour la vérité. « 

« (Freud croit) (…) que la solution des gens pieux contient la (…) vérité historique » et « (s’arroge) le droit de corriger une certaine déformation que cette vérité a subie lors de son retour« . (…) (Il croit) qu’il existe aujourd’hui un grand dieu unique, mais que dans des temps primitifs il a existé une personne unique, qui alors apparaître comme géante et qui, élevée ensuite au rang de divinité, est revenue dans le souvenir des humains. »

« Lorsque Moïse apporta au peuple l’idée du dieu unique, celle-ci n’était pas nouvelle mais elle représentait la ranimation d’une expérience qui surgissait des temps primitifs de la famille humaine, expérience qui avait disparu depuis longtemps de la mémoire consciente des humains. Mais cette expérience avait été si importante, elle avait produite ou amorcé des modifications si profondes dans la vie des humains qu’on ne peut s’empêcher de croire qu’elle avait laissé certaines traces durables, comparables à une tradition, dans l’âme humaine. »

« Le surgissement de l’idée d’un grand dieu unique (est une) idée que l’on doit considérer comme un souvenir certes déformé mais tout à fait justifié. (…) Dans la mesure où elle est déformée on est en droit de la qualifier d’illusion ; dans la mesure où elle amène le retour de ce qui est passé on doit l’appeler vérité. »

Le « repas totémique« , « repas de fête dans lequel l’animal totémique d’ordinaire vénéré était mis en pièce et dévoré en commun » « constituait la répétition solennelle du parricide par lequel l’ordre social, les lois morales et la religion avait commencé. » Il existe une « concordance » « entre le repas totémique (…) et la Cène chrétienne. »

h) L’ÉVOLUTION HISTORIQUE :

« Je dois prendre soin de combler le long laps de temps qui s’étend entre cette hypothétique époque primitive et la victoire du monothéisme en des temps historiques. Une fois l’ensemble : clan des frères – matriarcat – exogamie – totémisme institué, une évolution commença qui doit être décrite comme le lent retour du refoulé. (…) Il s’agit de quelque chose de passé, de disparu, de dépassé dans la vie des peuples. (…) Les précipités psychiques de ces temps primitifs étaient devenus un patrimoine héréditaire, quelque chose qui, à chaque nouvelle génération, eut seulement à être éveillé, non pas acquis. »

« La symbolique – qui est certainement innée -, (…) provient du temps du développement de la langue, (…) est familière à tous les enfants sans qu’ils en aient eu à en être instruits, et (…) est la même chez tous les peuples, en dépit de la variété des langues. »

« Le père redevient le chef de la famille ; son autorité n’est pas (…) aussi illimitée que celle qui avait appartenu au père de la horde primitive. L’animal totémique cède la place au dieu au cours d’une série de transitions (…). D’abord , le dieu à forme humaine porte encore la tête de l’animal, plus tard il se métamorphose de préférence en cet animal particulier, ensuite cet animal est sacré à ses yeux et devient son compagnon favori, ou bien il a tué l’animal et porte lui-même une épithète qui en rappelle le nom. Entre l’animal totémique et le dieu surgit le héros, fréquemment comme phase préalable de la divinisation. (…) À mesure que les tribus et les peuples se réunissent en unité plus grandes, les dieux s’organisent en familles, en hiérarchies. (…) L’étape suivante (…) constitue à ne vénérer qu’un dieu ; enfin se produit la décision de réserver toute la puissance à un dieu unique et de ne pas tolérer d’autres dieux à côté de lui. À ce moment seulement, la souveraineté du père de la horde primitive se trouva rétablie, et les affects qui le concernaient purent être répétés. (…) Admiration, vénération et gratitude d’avoir trouvé grâce à ses yeux – la religion de Moïse ne connaît pas d’autres sentiments que ces sentiments positifs à l’endroit du dieu-père. La certitude de sa puissance irrésistible, la soumission à son vouloir ne peuvent avoir été plus absolues chez les fils impuissants et intimidés du père de la horde. (…) L’extase religieuse, (…)(cette) ivresse d’abandon à Dieu est (…) la première réaction au retour du grand et puissant Père. (…) L’ambivalence appartient à l’essence de la relation au père ; il était inévitable qu’au cours des temps on vît aussi se manifester cette hostilité qui avait jadis incité les fils à tuer le père admiré et redouté. Le cadre de la religion de Moïse n’offrait aucun espace à l’expression directe de la haine meurtrière du père ; seule pouvait venir au jour une puissante réaction contre cette haine : le sentiment de culpabilité né de cette hostilité, la mauvaise conscience d’avoir péché contre Dieu. (…) Les espérances qu’on avait placées dans la faveur de Dieu tardaient à se réaliser, il n’était pas facile de s’accrocher à l’illusion chérie par-dessus tout selon laquelle on était le peuple élu de Dieu. Si l’on ne voulait pas renoncer à ce bonheur, le sentiment de culpabilité concernant son propre état de péché fournissait une raison bienvenue pour disculper Dieu. On ne méritait rien de mieux que d’être châtié par lui, parce qu’on n’observait pas ses commandements. (…) Ce fut (…) un homme juif (Paul) dans l’esprit duquel la découverte se fraya un chemin pour la première fois : Nous sommes si malheureux parce que nous avons tué Dieu le Père. (…) Il ne put appréhender cette part de vérité autrement que sous le déguisement illusoire de la Bonne Nouvelle : Nous sommes affranchis de toute faute depuis que l’un de nous a sacrifié sa vie pour nous racheter. (…) À la place de l’euphorique sentiment d’élection, il y eut désormais le rachat libérateur. (…) Le crime indicible fut remplacé par l’hypothèse d’un péché originel au fond vague. Péché originel et rachat par le sacrifice d’une victime devinrent les deux maîtres piliers de la nouvelle religion fondée par Paul. (…) Son contenu principal était (…) la réconciliation avec Dieu le Père, l’expiation du crime commis à son égard. (…) Le Fils, qui avait pris l’expiation sur lui, devint Dieu lui-même à côté du Père, et au fond à la place du Père. Issu d’une religion du Père, le christianisme devint une religion du Fils. Il n’a pas échappé à la fatalité d’avoir à écarter le Père. Seule une partie du peuple juif adopta la nouvelle doctrine. Ceux qui la refusèrent se nomment Juifs aujourd’hui encore. (…) Ils durent entendre de la bouche de la nouvelle communauté religieuse (…) le grief d’avoir mis Dieu à mort (…) : Ils ne veulent pas reconnaître qu’ils ont mis Dieux à mort, alors que nous l’avouons et que nous avons été lavés de cette faute. (…) Il a été impossible aux Juifs d’accomplir avec les autres le progrès que comporte la reconnaissance du meurtre de Dieu. (…) Ils ont eu à l’expier lourdement. »

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